Il est trois heures du mat'. Jerika est assise sur le porche de l'Auberge de Comté de l'Or, les bras entourant ses genoux. Il fait frais, il fait noir. Elle s'est réveillée en sursaut, dans un lit dans lequel elle ne se souvient pas s'être allongée. Elle se rappelle plutôt s'être roulée en boule sur les chaises, en bas, trop crevée pour monter. Un peu paniquée de ne pas reconnaître la chambre, elle prend le temps de s'assurer qu'elle est seule, puis elle descend, jetant un coup d'il à la première chambre près de l'escalier, là où elle a vu l'horreur. Là où il l'a emmenée pour lui montrer.
Pff décidément, journée de merde.
Semaine de merde ? Ou simplement, vie de merde.
Ouais.
Elle a entendu tant de choses, aujourd'hui, croisé tant de gens Elle ne se souvient pas d'un tel tourbillon, pas depuis son enfance, avec tous ses cons de frères. C'est sûr, l'agitation était courante à la maison dans ce temps-là.
Jerika soupire, semblant observer les étoiles, mais c'est le passé qui la rattrape Qu'est-ce qu'elle lui a dit, déjà ? Vraiment dit Avec sa voix Pas de carnet cette fois
- Vous avez combattu pour ce que vous croyiez juste. Le passé vous a fait tel que vous êtes maintenant, mais il ne faut pas le laisser vous ronger.
Ouais. Quelque chose du genre. Quel regard il lui avait lancé
Faites c'que j'dis, pas c'que j'fais hein ?
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La journée était déjà bien entamée. Elle avait eu du mal à se lever, ce matin-là, parce qu'elle avait fait la fête avec ses copains, la veille. Trop bu. Mal de crâne assourdissant. Mais Jérémia, son frère le plus jeune, mais né quatorze mois avant elle, avait sauté à pieds joints dans son lit, arrachant les couvertures et se blottissant contre elle. Ses mains froides sur ses bras nus avaient achevé ce que le manque de couvertures avait commencé, elle était maintenant totalement réveillée.
- Jeri' lève toi
- Bof Mal au crâne.
- Ouais mais il t'attendent.
- Qui ça ils ?
- J'sais pas. Père et un autre type, t'sais un de ceux qu'on a vu au village. Un des riches.
- Bof probablement un qui se cherche une gouvernante pour ses mioches. Père crachera pas sur de l'or hein Comme l'été dernier.
- J'sais pas ma Jeri'. Cette fois j'sais vraiment pas.
- Qu'est-ce que t'as ?
- Tu te rappelles Monya, y'a deux ans ?
- Ouais ? Ah non hein ?!
- J'sais pas je t'ai dit. Va t'arranger un peu, j'descendrai avec toi.
- Promet que tu m'laisseras jamais Jérémia !
- Promis ma belle
Elle avait donc obéit Elle avait quinze ans, pas plus conne qu'une autre, pas plus moche qu'une autre Mais elle avait eu la malchance de naître dans une famille constituée uniquement de mâles. La mère était morte à sa naissance, laissant au veuf une flopée de mioches aux couches. Jerika avait grandit élevée à la dure, entourée de la brutalité de tous ses frères, non pas envers elle, mais de façon générale. À six ans elle se battait déjà avec des plus grands qu'elle, faisait les quatre cent coups avec son frère Jérémia, qu'elle adorait plus que tout au monde. Le reste, elle s'en moquait. Ses autres frères étaient des cons, et son père tellement angoissé par les problèmes d'argent qu'il demeurait inaccessible. D'autant que lorsque son regard se posait sur elle, elle ne pouvait pas supporter la tristesse qui s'en dégageait, et elle avait grandit avec le poids de la culpabilité de sa propre vie.
L'offre du type riche ne pouvait pas être refusée. Elle assurait la survie de toute la famille, même les frères partis élever la leur, elle assurait au père une vieillesse confortable Elle permettrait à Jérémia d'aller s'entraîner avec les soldats, elle permettrait à Ed' d'aller étudier Elle paierait la maison, les dettes, et permettrait même l'achat d'une ou deux vaches laitières, quelques poules et une chèvre.
Le père n'hésita pas une seconde. De toute façon, Jerika, aussi jolie soit-elle à ses yeux (au moins il avait réussi quelque chose de joli dans sa vie), lui rappelait trop sa femme en vieillissant. La regarder le torturait, quand elle riait il était à l'agonie.
Aussi, c'est d'une main ferme et les yeux secs qu'il signa les papiers que le type lui tendait. Lui et le notaire.
L'encre n'était même pas sèche lorsque Jerika entra dans la petite cuisine, suivie de près de Jérémia, qui observait son père avec une haine non dissimulée. Le type riche était au village, avec d'autres de son genre, comme tous les ans, afin de commercer, et de profiter du paysage, avant de retourner faire le tour des foires des Capitales. Des marchands. Jerika lui était tombée dans l'il, que Jérémia trouvait d'ailleurs fort concupiscent.
Aussitôt sa fille dans la pièce, le père détourna le regard et lui dit d'aller faire ses affaires.
Avant qu'elle ait eu le temps de protester, Jérémia se rua sur son père pour lui envoyer son poing dans la figure, le traitant de tous les noms. Jerika restait interdite, ne comprenant pas trop ce qui se passait. Le type riche cria qu'on apporte les choses de sa femme plus tard, tentant de passer par-dessus les insultes de Jérémia et les gémissements du père.
Sans plus de cérémonie, il pris Jerika par un bras, et la traîna dehors.
Jerika avait quinze ans, et sa tête était pleine de la fureur de Jérémia, qui maintenant courait derrière le carosse qui l'emmenait
La réalité ne mis pas longtemps à briser le voile d'étonnement qui l'enveloppait. Elle avait été vendue, non, pire, mariée, sur papier, à un marchand par son père. Pour un sac d'or, elle ne saurait jamais combien. Et les filles mariées, quand bien même jeunes et relativement innocentes, ont un devoir à accomplir à la maison.
Jerika ne fut pas en reste.
Ses affaires lui furent livrées peu de temps après, méticuleusement fouillées. Pas de lettre. Pas un signe de Jéré'. Les jours, et les semaines, les mois puis les ans passèrent.
Avec le temps, son époux, qui sous ses airs de grand marchand était un porc lubrique et vicieux, se lassa d'elle. Trop vieille peut-être. Il se mit à la prêter à ses amis, qui fêtaient toujours dans ses appartements, orgie de nourriture et de vin, peu importe le moment de la journée.
Mais les années de lutte contre les garçons et filles de son village eurent ceci de bon que Jerika réussi tant bien que mal à préserver l'honneur qui lui restait.
Mais dans son esprit quelque chose s'était déchaîné. Et une nuit où son époux réclamait son moment d'intimité habituel, n'ayant pas trouvé chaussure à son pied au bordel du coin, Jerika était prête. Elle avait trouvé un poison mortel. Elle ne savait pas son nom ni ses effets, juste que c'était mortel. Elle l'avait volé à un alchimiste de passage. Elle avait patiemment enduit la propre dague de son époux du poison, la dague qu'il tenait fièrement sur son bureau, comme si elle lui avait déjà servie, ce gros lard. Et au moment où il la bascula sur le lit, elle sorti la dague de sous l'oreiller et la lui planta dans le dos. Dans le dos pour éviter qu'il ne crie. Les poumons touchés. L'air le fuyant, le sang remontant dans sa gorge. Elle l'avait regardé crever, étendue sous lui. Elle avait sourit, même, lorsqu'il l'avait accusée du regard, juste avant de se trémousser dans l'agonie.
Puis elle avait rit.
Elle l'avait repoussé sur le côté, puis elle avait ouvert un placard, où elle avait enfermé une petite conne qui couchait avec son mari, espérant avoir son argent ou ses largesses. Mon cul ouais.
La femme était ligotée, droguée. Facile de la faire venir ici, une lettre fictive de son époux, quelques pièces d'argent. Elle allait mourir, Jerika le savait. Ce qu'elle lui avait administré ne la laisserait pas se réveiller, trop forte dose. Laudanum.
Elle hissa la femme sur le lit, la dévêtit et la détacha. Elle ôta également les vêtements de feu son époux, puis les disposa, enlacés, sur le lit.
On croirait à un tragique accident. Un couple aimant surpris dans son sommeil par les flammes. Personne ne pourrait voir la blessure béante dans le dos d'un squelette calciné non ? Elle repris la dague et ramassa les affaires de la femme.
Puis Jerika vida les coffres. Elle ne pris rien d'autre. Et même si on venait à se demander pourquoi les coffres étaient vides, on pourrait croire alors à des malfaiteurs qui, après avoir vidé la maison de ses richesses, avaient mis le feu à la maison, froidement.
Elle s'en foutait de toute façon. Elle serait tranquille, on la croirait morte. Deux cadavres. Un homme, une femme, enlacés dans le lit conjugal
L'esprit croit ce qui est salutaire pour lui, et ainsi Jerika s'en alla, croyant dur comme fer à son plan.
Quelques jours plus tard, libre, folle de joie, le sort la rattrapa. Un de ceux qui avaient voulu la posséder, la toucher, la surpris en plein sommeil. Jerika dormait au pied d'un arbre, imprudente. Le gars l'avait reconnue, avait compris ce qui s'était passé, et avait décidé de la capturer pour toucher une récompense certaine, imaginez, dévoiler au grand jour un meurtre sordide Mais avant, il se la ferait. Depuis longtemps il couchait avec sa femme en imaginant Jerika sous lui, eh bien aujourd'hui serait un grand jour. Il aurait Jerika, dans tous les sens du terme.
Elle ne put rien faire sur le moment. Il était déjà sur elle, frétillant de désir, l'il fou. Elle se débattit, hurla, le frappa
Lorsqu'il roula sur le côté, savourant sa chance, elle le refrappa durement, puis s'écarta en rampant plus qu'autre chose, vers son sac Ses armes Elle vomit.
L'homme la voyant ainsi faible et malade, ne se méfia pas une seconde. Lorsqu'il la fit se relever, sa grosse panse accueilli bien malgré elle 25 centimètre d'acier. Le même acier qui avait fouillé les poumons de son vieil ami. La même lame qui avait été enduite de poison. Sur laquelle d'ailleurs il en restait, Jerika en était certaine.
Elle le laissa pour mort, puis s'enfuit.
Mais les débutants font des erreurs, et elle en commis une grande. La blessure n'était pas tout à fait mortelle, et la lame trop peu empoisonnée L'homme s'en tira juste assez longtemps pour lancer la milice à ses trousses.
Jerika vit dans les jours suivants son visage dessiné (assez mochement d'ailleurs) sur des affiches de recherches. Les temps qui suivirent en furent de cachette, d'angoisse, puis finalement les portraits disparurent des murs, et elle put reparaître en société. Elle avait coupé ses longs cheveux, et ses traits maintenant inexpressifs et surtout son silence ne la firent pas remarquer, en tout cas personne ne fit le rapprochement.
Avec le temps elle osa laisser repousser sa chevelure, mais ne dit plus un mot, en tout cas assez rarement pour qu'on la surnomma « La Muette ».
Et puis il y eut Vindel. Et le Cartel. Et . Et la nuit. Le froid, les révélations, la colère Et la douceur. Dans un visage marqué, les valeurs déstabilisées, la coquille fissurée.
Mais elle devait se reprendre. Elle était une mercenaire, à présent. Et les mercenaires, ça ne ressent rien. Ça cajole, charme, et ça tue par derrière. Elle l'avait pratiqué plusieurs fois depuis sa fuite Et le pire C'est qu'elle aimait ça.
Jerika inspire profondément, laissant le calme l'envahir. Concentre-toi sur tes buts ma vieille : survivre. À n'importe quel prix.
Même si ça éloigne toujours plus son frère de sa vie, même si ça veut dire ne plus jamais être innocente, tranquille, en paix. Reste la frénésie, l'acte de tuer, voir la vie s'enfuir C'est ça la vie ? « C'est la mienne en tout cas »
- Vie d'merde ouais
Encore le milieu de la nuit. Insomnie. Combien de temps ? Quelques mois... ? Seulement
Autant de mois paraissent des années. Ça lui fait quel âge maintenant ?
Ouais. Vingt-deux. Et lui vingt-trois. Et des poussières.
Peut-on être si jeune et en même temps si vieux ? Ou si vieux et paraître jeune ?
Pff Ses pensées partent dans tous les sens, trop d'informations, trop. Eh bah ouais ma vieille. Trop d'émotions
« Démêle tout ça, connasse. Avant de t'laisser bouffer vivante ».
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Ironiquement, quelques jours après la nuit passée sur le porche de l'auberge, alors qu'elle et Kulgaan. Alors qu'ils auraient encore pu être Jerika et Kulgaan en fait, le passé avait resurgit. Au beau milieu de la soirée, dans un visage agressif, un homme qui tente de lui faire cracher son nom
Jérémia, Jérémia
Mélopée, ôde à l'amour, ou simplement marche funèbre ?
Son petit frère, pourtant plus vieux qu'elle. Paf. Dans les dents. Quel choc Elle s'était presque évanouie. Elle avait chialé. De joie. De peur aussi, après. Les gestes intimes étaient revenus, aussi naturellement qu'avant Le prendre dans ses bras, embrasser sa nuque Seulement, avant, ça s'arrêtait là, n'est-ce pas ? Seulement avant, c'était juste des câlins d'affection, non ?
Quelle dérive Quelle ivresse Le visage de Jérémia, celui qui avait flotté devant ses yeux depuis tant d'années, la seule source d'espoir, ou de joie dans sa vie terne. Le seul souvenir auquel s'accrocher, seul amour d'une vie
Il faut croire que l'absence et l'adoration pendant toutes ces années ont achevé ce que de trop nombreux câlins pourtant innocents d'enfance avaient commencé. L'odeur de Jérémia, les lèvres de Jérémia Son souffle, son regard Ses mains chaudes qui glissent sous son armure Jérémia, enfin à elle, en elle Le désir, la volupté.
La limite trop vite franchie. Ou trop franchie, tout court. Pure extase Le plaisir tiré de l'acte en lui-même, celui de se donner à l'être aimé, et celui tiré de l'interdit Ô combien grands avaient été leurs pêchés passés pour chuter aussi lourdement ? Était-ce un crime d'autant l'aimer ? De désirer un être de son sang, de sa chair ?
Ne pas engendrer de bâtard. Ne pas le montrer, se cacher.
Et Et Kulgaan ? Le seul à avoir su l'approcher, l'apprivoiser même ? Vindel avait été trop empressé, et trop mystérieux. Kulgaan avait éveillé en elle une soif de lumière, de répit. Mais c'était fini. Regarde, là, Jerika. L'abîme. Le noir. C'est là que tu vas. Tu le savais, déjà, que c'était ta place, en bas. Le cur brisé de Kulgaan. Le rejet. Le dégoût. Et puis sa froideur Oh sa froideur
Il avait été le seul à savoir. Et il l'avait rejetée. Normal. Puis Jérémia avait voulu en finir avec les cachettes. Soit. Et ils s'étaient fait passer pour un couple normal. Puisque les prêtres les avaient excommuniés, et que les rêves de Jérémia venaient de s'effondrer, pourquoi se cacher Ouais... Pourquoi ?
Une spirale d'évènements qui la mènent là où elle est, maintenant. La rencontre avec Ezul Morthis. Pas celle, irréelle et risible du début. Mais celle près de l'auberge. D'avance il l'avait attirée. Oh pas comme un possible amant, non. Mais une âme prise au piège de la noirceur recherche toujours ce qui peut la faire chuter, encore plus bas. Il lui avait murmuré quelques mots à l'oreille, replaçant une mèche de ses cheveux. Tout de suite elle avait su qu'elle accepterait. C'était alléchant. Et tellement interdit Un billet simple pour l'enfer, tant qu'à être damnée, autant ne pas l'être à moitié.
Au service du Lord Morthis. Et l'attirance s'était muée en affection, en loyauté, en admiration. Un geste de lui et elle savait quoi faire. Arbalète, dagues, épées, poison. Tout ça à son service. Et elle avait entraîné Jérémia à sa suite, connement. Un Jérémia innocent, brisé. Trop faible pour la suivre dans le meurtre, la violence et le sang. Première mise à mort, il en avait vomi. Il avait menacé de la laisser, encore. Pas la première fois. Mais Jerika était engagée sur une voie de non retour Et son cur à elle avait besoin de cette servitude ? Non Cet engagement, cette cause pour laquelle se sacrifier. De cette débauche d'agression. Ça avait été facile pour elle de se plier au jeu de la Milice. Obéissance, garde-à-vous, rapports. Jérémia, encore une fois, avait suivi. Pour elle.
La peur de le perdre. Qu'il ne devienne un poids. De devoir le supprimer un jour. Oh ce n'est pas qu'elle hésiterait. Elle le ferait. Elle se tuerait ensuite, bien sûr, mais elle le ferait. Mais ce besoin de le protéger l'avait muée en statue de glace. Toujours l'épargner, lui éviter le pire. L'excuser, l'écarter de ce qui le toucherait. Et lui qui s'endurcissait. À cause d'elle. Et maintenant ça Devenir Chevalier.
Elle n'allait pas le lui interdire, quel glorieux destin ! Quelle chance ! Mais il allait devenir froid. Comme le Lord. Insensible, cruel, et froid. Et de rajouter une couche à sa propre glace
Et ce soir, alors qu'elle parlait avec Astarix, il avait voulu la cogner. Souvenirs Adolescence volée, innocence s'écoulant avec sa virginité prise par un gros lard, coups, humiliation Non. Plus jamais. Elle l'avait cogné en retour, et avait pris la fuite. Et puis ces instants terribles
C'est fini Jeri' ?
Je... Je sais pas.
Le visage de Jérémia, ne reflétant plus le désir, mais la colère, la tristesse, la froideur
Tout sauf ça...
Est-ce que ça ne serait pas mieux comme ça ? Pouvoir le laisser aller, sans s'encombrer mutuellement du poids d'un amour interdit ? Oublier ses caresses, son odeur, son Jérémia ?
D'un autre côté, pouvait-elle nier qu'elle avait toujours été attirée par les hommes forts ? Vindel Kulgaan Et ce frisson, lorsque le vampire lui avait embrassé le cou ? Son regard de braise s'accrochant au sien ? Le souffle court ? Ou était-ce simplement une façon inconsciente de se détacher de son Jérémia, de ce qui la faisait souffrir ?
Allait-elle infliger ça encore longtemps à Jérémia ? De qui c'était tout sauf la nature d'être violent, cruel, et d'être au service d'un Chevalier de la Mort ? Pouvait-elle supporter encore longtemps les menaces ? Les disputes Les cris ?
Et s'il le devenait, Chevalier, serait-il plus Serait-elle plus attirée vers lui, encore, à la façon d'un aimant ?
Ou ne serait-ce pas plus simple de s'interdire ce genre de relation ? Évitons de fournir aux ennemis une prise sur nous. Pas de proches, pas d'attaches
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Jerika est dehors. Ses pieds pendent par-dessus le rebord d'un des ponts qui enjambent les canaux, en pleine capitale, mais elle s'en fout. Elle est masquée, elle se change souvent Elle ne risque rien.
Il a plut, plus tôt, elle est trempée, elle grelotte. La lune achève sa course dans le ciel, le jour va se lever, bientôt. Encore une nuit blanche. Et aucune décision. Trop dur. Alors elle va attendre, fuir. Les choses trouveraient bien une issue d'elles-mêmes. Et sinon bah Elle se noierait dans l'action, dans les ordres, cheminant dans son cur sur sa propre voie vers les déserts glacés du Roi Liche.
La jeune femme se redresse, lève le nez vers la lune et lui adresse un petit salut silencieux. Ce qu'elle rêvait d'être, au fond, c'est le froid instrument de la mort. Rapide, indifférente, froide et précise. Pour Ezul. Pour le Roi Liche. Pour Jérémia, surtout, et pour elle.
Et le cur de se glacer, de se refermer.
Bonjour madame Jerika.{Jerika} Lettre de Lalita
Je me sens un peu seule au manoir. Même si je suis pas une servante, c'est un peu comme si... J'aimerai tellement que vous veniez. Madame Bayle serait contente de voir de la visite pour moi. Madame Bayle est très gentille.
Sinon, la grossesse avance, mais Halrick n'est pas revenu, et je m'inquiète... Pauvre Jeremia, que se passe t-il avec lui?
Je me sens si seule, madame Jerika. Je n'aime pas trop être enceinte. Mais la vie est si belle qu'on ne doit pas s'en plaindre, n'est-ce pas ?
Je vous fait de gros bisous.
Merci pour votre lettre !!
Lalita
Chère madame Jerika,
J'ai vu papa et Neph'o il n'y a pas longtemps. Je les aime tellement !
Ils sont si merveilleux. J'espère tant que le rêve durera, madame Jerika. Mais j'en suis sure! Papa m'a promis que ca durerai toujours, alors je le crois.
Je sais que dans quelques mois, tout sera terminé... Des fois, ca me fait un peu peur, parce que je me demande un peu comment je vais faire pour que le bébé s'en aille. Mais je prie très fort la Lumière! C'est ce qu'il faut faire dans ses cas-là.
J'ai recueilli un petit chaton ! Elle s'appelle Dina. Elle avait si faim, et elle est si belle ! Je la serre très fort contre mon coeur, et je pense à toi, et à mon mari... Et à tout l'amour que je vous porte.
Merci, merci, madame Jerika.
A très bientôt !
Je sortirai dehors, pour vous voir !
Lalita.
Encore une nuit agitée, sans sommeil. C'pas faute d'avoir essayé, pourtant. Les bras tentant de l'oubli, des songes, du néant. Retrouver l'enfance, le temps où Jéré' n'était pas ce cadavre, où ses épaules ne ployaient pas sous le poids de tant de souffrances.{Jerika} Miroir
Mais à chaque fois que ses paupières s'alourdissaient plus qu'une dizaine de minutes, l'autre garce lui foutait un coup dans les côtes. Remarque... Pas dû dormir des masses non plus celle-là.
Encore un beau foutoir. Comme un mauvais rêve dont elle ne pouvait pas sortir. Un cauchemar après l'autre. Doucement la raison fait place à la folie. Elle n'est pas certaine maintenant, mais elle croit que le sang séché, là, sur son épée, est celui de Jéré. Ou c'est un rêve ? Elle revoit en flash Jérémia debout devant Ezul, qui vient de le transpercer. Jéré' qui joue encore au con, le défiant sans arrêt. Et puis Jérémia par terre, le ventre ouvert, mais vivant. Et son épée à elle, sur sa gorge. Puis un flash de douleur, le cerveau qui vrille, un hurlement qui essaie de franchir les lèvres mais ne fait que se répendre dans ses veines, ses tripes. Le bruit sec du sternum qui se rompt, et le sang qui gicle. Et le regard vide, les globes sans vie, les lèvres pâles, qu'elle baise une dernière fois. Non elle a sans doute rêvé. Elle ne peut pas avoir laissé le corps, disposé comme un chevalier, avec son épée à lui sur la poitrine, devant chez Ezul. Laissé là pour pourrir, ou se faire bouffer...
Jerika ouvre la bouche sur un cri silencieux, les traits ravagés.
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Depuis quelques jours, les emmerdes et les joies se suivent, s'entremêlent. La fausse couche, sa presque mort, la présence de son maître, son énergie en elle, Nafein ayant intégré Anathème... Mais un truc cloche. Comme un cillement, ou un bruit parasite dont on ne parvient pas à trouver la provenance.
Quelque chose lui tord les tripes. Depuis une semaine, ptête deux. Oh, ouais, elle est inquiète, Kulgaan lui a demandé de venir combattre son dragon avec lui, mais ne s'est pas présenté au rendez-vous. Personne sur les quais. Elle sait, avec chaque jour qui passe sans nouvelles, qu'il y est allé seul. Bien sûr elle n'aurait pas pu aider. Un dragon t'sais... Mais elle aurait peut-être pu l'empêcher d'aller s'faire tuer, le pousser, le tirer en arrière... Le... sauver ? Alors qu'il est déjà perdu, à cause d'elle ?
Non, sérieusement, y'a un truc qui va pas. Quelque chose en elle avait toujours senti la présence de Kulgaan, plus ou moins vaguement. Autant Jérémia était son amour fusionnel et passionnel, Jerika était convaincue que Kulgaan aurait dû être à elle, et elle à lui, dans un monde meilleur. Comme un accord sur une harpe tenue par un virtuose, elle vibrait à son rythme. Et soudain ce silence. Ce vide. Elle le chassait, le plus souvent, de ses pensées, bien d'autres chats à fouetter, et puis c'était pas le genre, à Jerika, de s'appitoyer, et à soupirer en attendant connement qu'il revienne.
Sauf que là elle sait. Elle se doute, en tout cas. Kulgaan est mort. Encore. Rien compris à çe qu'il a raconté, comment il était revenu à la vie après s'être lancé du viaduc, mais l'important c'était qu'il était là... Près d'elle, vivant, aimant. L'espace d'une nuit, une unique nuit, elle avait eu un aperçu de sa vie volée. Mais le matin était vite venu, et avec lui les emmerdes habituelles, et Jérémia, fou de jalousie. Normal. Et maintenant, maintenant, Kulgaan n'existe plus, et elle veut en avoir le coeur net. Elle partira, pour Tanaris, dans la soirée... Trouver ce qu'il reste de lui. Ses os. Les os de Kulgaan. Parce que te leurres pas, ma vieille, s'il est crevé dans l'désert, c'est tout ce que tu trouveras, des os. Blancs. La charpente sous la montagne de muscles qui t'a aimée. Mais tu le sais déjà, alors joue pas la vierge offensée.
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- Jeriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii' ! Ezul va tuer Jérémia !!!
Le gnomunicateur grésille.
Non. Non, il l'a fait... Jerika ne pensait pas qu'il l'aurait fait. Que Jérémia aurait poussé le jeu jusqu'au bout. Sauf que jouer au con avec Ezul, ça donnait jamais rien de bon.
"Faudra choisir entre lui ou moi, Jeri'."
"Si Jéré' t'aimait vraiment, il te demanderait jamais de choisir entre Ezul et lui, cocotte."
"Me place pas entre vous deux. Me force pas à choisir, parce que tu perdrais."
"Tu l'aimes ?"
"Oui. Mais pas dans le sens où tu l'entends. Pour s'engager comme je le fais, il faut aimer, car sinon comment accepter de crever pour quelqu'un qu'on aime pas ? Je l'aime oui. Mais pas comme tu l'entends."
"Si j'étais amoureuse, Nafein, c'pas sa joue que j'aurais embrassée."
Non non pas de la passion. Ni un sentiment con d'amour, comme elle entretient pour Jéré', ou Kulgaan. Nan. Les gens veulent bien voir ce qu'ils souhaitent. Au fond tant pis. Autre chose à foutre que s'occuper des gens en manque de potins.
- Jeriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii' !!!!!!
Encore ce putain de gnomunicateur. Et sa monture, qui n'en finit plus d'avaler les lieues, de faire défilerle paysage, de Sombre-Comté au camp des bûcherons d'Elwynn. Jamais elle n'avait trouvé le chemin aussi long. Allez Raaja... Galope mon tout beau... Cours...
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Et la scène qui se répète, encore et encore. La haine qui la consume, elle, et la vie qui s'écoule de lui. Le petit sourire d'excuse d'Ezul. Oh Morthis savait bien qu'elle n'aurait rien tenté pour l'en empêcher de toute façon. Elle était trop furieuse contre Jéré'. Furieuse de sa trahison. La pire de toute. Il la plaçait entre eux, peut-être espérant qu'elle volerait à son secours, reniant ses engagements et levant l'épée contre son maître. Et l'humiliation. Elle l'avait présenté à son maître, s'en montrant garante. Et il les avait déçus. Trahis. Indigne du don, indigne du Roi. Et là il en restait quoi... Un cadavre animé. Un réprouvé. Quelle option ? Se tourner vers les prêtres ? Obtenir réparation ? Errer sans but de par le monde, traînant un corps qui tombe en morceaux ? Ou alors la mort ? Par les dieux, elle avait tellement envie de le tuer... Vengeance, ouais. Mais aussi amour.
Allait-elle le laisser vivre dans l'humiliation totale ? Souffrir d'un corps qui se putréfie ? Son Jérémia, son amour, son frère, sa chair ?
- T'oserais pas...
- Choisis.
- Même pas cap'...
- J'compte jusqu'à dix... Un... Deux... Trois... Quatre... Cinq... SIx...
- Fais-le.
- Quoi ? J'te laisse partir ? Ou j't'achève ?
- Tue-moi.
'Cap. Oh putain... 'Cap. Jéré... Jéré !
- Adieu mon amour.
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Toujours la même crypte. Jerika, privée de sommeil, en proie à ses démons. L'attente de la nuit, qui ramènera Correlli devant elle, avec sa putain de poupée vaudou, sa servante Shivä et l'immonde Cheena... Elle sait que la morte-vivante garde l'escalier, et que Shivä la surveille encore. Elle a pris des coups, la ptite. Faut pas croire qu'elle se laisse cogner sans rien faire, la Jeri. Ezul va venir. Ezul va venir. Nafein aussi, et la putain d'poupée, il te demandera pas de t'en servir. Il te fera pas ça, il risquerait pas. Hein ? Si le Djinn libère Correlli et te force à prendre sa place, Ezul perdrait son employée. Mais il en a plein... Il ferait pas ça... Hein ? Hein Jéré' ?
Les paroits des murs sont humides. Sentent le moisi. Quelque part un mur fissuré laisse perler des gouttes d'eau, qui tombent dans le silence. Jerika halète, recroquevillée dans un coin, assise les coudes sur ses genoux relevés et la tête entre les mains, la bouche toujours ouverte sur un cri silencieux.
Et à ses côtés, retenant la lumière des nombreuses bougies éclairant le caveau, son épée, couverte d'une croûte sombre de sang séché.
Certains sages ou chamans racontent que l'univers a plusieurs facettes, plusieurs réalités qui se côtoient sans se rencontrer. Plusieurs options de vie, plusieurs chemins, qui placent chaque être sur un seul fil entre tous les choix offerts....
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Le soleil innonde la pièce depuis quelques minutes. Jerika plisse le nez, elle a trop bu la veille. Jérémia entre avec fracas dans la pièce, puis saute à pieds joints dans son lit, arrachant la couverture.
- Jeri'... Lève toi on se casse.
- Hmpf ?
- Y'a un truc louche qui se passe, en bas. J'pense que papa est en train de te vendre. Prends quelques affaires, on se casse. Tout de suite.
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Cette seule scène, jouée différemment, aurait-elle pu placer Jerika, et Jérémia, sur un autre fil... Aurait-elle pu changer autant leur destinée ?
Jérémia sort du petit lac, s'ébrouant. Son corps a changé, il est tout en muscles, délié. Ses yeux vifs remarquent le moindre détail, et alors même qu'il se détend, surveillant le corps endormi de sa soeur auprès de la berge, il reste attentif. Des années à arpenter les routes, depuis la fuite. Tous les deux formaient une paire étonnante. Vifs, furtifs, rusés... Les quatre cents coups étaient devenus larbins, vols, méfaits.
Oh rien de méchant, mais c'était tellement excitant ! Le frère et la soeur faisaient la paire, c'était eux contre le reste du monde. Depuis la fuite, la vie n'était que bonheur. Jéré' regarde sa soeur qui remue, prête à s'éveiller. Elle aussi a changé. Bronzée, rieuse, bavarde... Des rides au coin des yeux, à force de rire.
La veille ils ont rencontré un homme, dans une taverne. Elwynn. C'est là qu'ils sont depuis quelques temps. L'homme avait le visage ravagé par le feu, un oeil aveugle. Il a discuté avec Jeri', Jérémia a bien vu le trouble qu'il a causé en elle.
- Vous avez combattu pour ce que vous croyiez juste. Le passé vous a fait tel que vous êtes maintenant, mais il ne faut pas le laisser vous ronger.
Le jeune homme étire les lèvre en un sourire amusé, et entreprend de réveiller sa soeur avec tendresse. Ce soir, elle veut revoir l'homme au visage marqué. Quand à lui, il a remarqué cette petite rouquine au village, il trouvera sans doute de quoi s'occuper !
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Deux bras puissants entourent brusquement Jerika. Elle était en train d'apprendre à manier une lourde épée à deux mains, se mesurant au maître d'arme amusé. La frêle jeune femme, aussi agressive avec son arme, comme une chatte protégeant sa portée, toutes griffes dehors. Le professeur retire son haume et incline poliement la tête, saluant le maître des lieux. Jeri' se détend immédiatement, laissant tomber l'épée, et se retourne pour faire face au géant qui la regarde avec un sourire tendre. Kulgaan Manackar Sarkator... Son futur époux.
Il n'avait rien fait comme prévu. Normalement, les hommes mettent un genou par terre et regardent leur douce avec des yeux de merlan frit pour proposer un mariage... Pas lui. Il était parti dans le Nord, guerroyer, comme d'habitude. Ils avaient commencé à utiliser Destin, un énorme corbeau, comme messager, lors de ses absences. Et un matin, Jeri' avait été réveillée par les croassements du charognard. Elle avait ouvert les yeux, affollée de voir le corbeau aussi tôt. Le volatile avait un paquet à la patte, comme toujours.
Les doigts tremblants, elle avait défait la cordelette et ouvert le paquet. À l'intérieur, une magnifique chevalière portant une pierre rouge brillante. La pierre était incrustée dans un mélange subtil d'argent et de mithril, et la jeune femme reconnu, sur les côtés, les armoiries de la maison de Kulgaan. Elle fronca les sourcils, inquiète, et se hâta de lire la missive accompagnant le bijou, craignant qu'elle ne lui annonce le pire.
Ceci appartenait à la maison Sarkator, elle vous revient de droit.
Elle était à son doigt.
Le Nord honorera sa mémoire.
La feuille met des siècles, on dirait, à tomber de sa main. La chevalière enfouie dans l'autre, la pierre heurtant la chair. Puis des pas. Le rythme... Cette présence... La conscience, toujours, de cette note, cet accord, comme s'il était dans l'air, comme si la présence de ces deux êtres au même endroit réveillait une harmonie.
La jeune femme se retourne sur le lit, le regard perdu, hésitant entre le chagrin et l'espoir... Et le voilà... Qui passe la porte. Il a laissé sa lourde armure en bas, il est simplement vêtu... Bottes souples, pentalon et tunique de laine... Et son visage... Rayonnant... Lorsqu'il souriait ainsi, elle pouvait voir à quoi il ressemblait avant le feu... Elle pouvait imaginer la régularité de ses traits, le regard pénétrant de ses yeux intelligents...
Il ne dit rien, approche lentement et s'arrête au bord du lit, prenant le visage de Jerika entre ses mains. Leurs lèvres se touchent, et Jerika ne souffle qu'un seul mot...
- Oui...
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Kulgaan est devenu un grand guerrier. À la tête de plusieurs bataillons tentant de reprendre Stormgarde, heureux père de deux enfants, un garçon et une fille. Son manoir est prospère et accueille ceux que les batailles incessantes contre la Horde jettent à la rue. L'Alliance tient bon, les généraux du Roi sont présents, affairés.
Jérémia a rejoint son beau-frère sur le champ de bataille, la Horde et les ennemis de la lumière sont pourchassés, sans relâche. Et pendant ce temps, Jerika se tient près d'eux, épée à la main, ou reste au manoir à jouer la maîtresse de maison...Les enfants grandissent vite... Une nouvelle génération s'apprête à prendre la relève...
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Destin croasse depuis quelques minutes. Jerika fronce les sourcils, se passe une main sur le visage, suivant comme d'habitude la fine cicatrice ornant sa pommette gauche. Il fait sombre et humide, elle est allongée dans la cave du Solitaire... Crevée... Pas une minute à elle depuis un moment...
"Radjah.. Je dois avertir Radjah..."
Jeri' se relève, chassant toute trace de fatigue, et range à l'intérieur de son armure une longue chaîne passée à travers une chevalière d'argent et de mithril, ornée d'une pierre rouge. Rouge comme l'épée de Kulgaan. Celle qu'elle a trouvée sur son corps, sur ses ossements, là-bas dans le désert de Tanaris. La chevalière, l'épée... Le carnet. Ses dernières pensées avaient été pour elle, et ses proches. Ils s'étaient entretués, lui et son dragon. Elle avait vu l'immense squelette, tout prêt. Et le crâne de Kulgaan, défoncé... Et le trou... dans son armure.
Pas le temps de pleurer, de toute façon, dans ce monde-ci, rien n'aurait pu arriver entre eux... Comme elle lui avait dit, une fois, elle chérirait le "souvenir" de ce qui aurait pû être, dans un monde meilleur.
Pourtant, chaque nuit depuis, Jerika s'endort en tenant entre ses doigts la chevalière de son amant, s'interdisant la moindre larme. Elle le pleurerait après... Quand tout ce bordel serait enfin derrière eux. La seule exception avait été dans le désert, alors que Nafein avait allumé le brasier, pour que les os de Kulgaan ne restent pas à découvert. Puis la veille, alors que la douleur lui avait noué la gorge, en tendant les deux morceaux d'épée à Ezul, son Ezul si humain maintenant, afin qu'il la reforge... Mais même lui avait ignoré sa douleur, aussi Jerika allait remettre son masque de glace, et porter son chagrin comme un joyau, enfoui en son sein.
L'épée a été reforgée. Elle n'a pas perdu de sa superbe. Affûtée, magestueuse, mortelle.{Jerika} Tentation
"Tu devrais pas traîner ça avec toi, laisse les morts où ils doivent rester. C'est pareil pour cette bague que tu tripotes tout le temps là."
Foutez-moi la paix putain. Vous comprenez pas. Cette épée, c'est son âme. Lorsqu'elle brillera, il reviendra. Je sais qu'il reviendra.
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Le Darkshire. Il flotte, comme d'habitude. Le brouillard s'épaissit. On ne voit rien au-delà du chanfrein d'une monture... Elle a fuit Elwynn, en colère, comme souvent. Elle est devenue instable, colérique, susceptible, depuis le désert. Chacun se croyant en position de la juger, de lui dire qui elle pouvait voir et qui elle ne devait pas fréquenter. Évidemment, Okyto est dans cette seconde catégorie. Okyto, retrouvé après des lunes, le vampire aux yeux de braise, celui qui l'avait tant effrayée. Celui qui, lorsqu'il passait près d'elle, déclenchait un réflexe inné, un frisson qui lui faisait rentrer la tête dans les épaules. Il l'avait prise pour proie, sans la reconnaître. Puis, à sa voix, il s'était rappelé la petite humaine de la caserne, et s'était amusé avec elle, histoire de lui faire une bonne frayeur, avant de se dévoiler et d'entamer la conversation. Elle l'avait un peu défié, lorsqu'il avait vu qu'on l'avait déjà "goûtée".
"J'sais que j'vais crever jeune. Alors je teste tout, et comme tout le monde arrêtait pas de dire combien c'est jouissif, j'ai voulu tester. Bah c'était nul, ça m'a fait mal, j'ai eu mal au coeur pis c'tout. J'suis déçue."
Il avait sourit, et lui avait expliqué que les vampires de seconde classe comme Astarix ne savaient pas s'y prendre, et avec un vampire de souche, comme lui, c'était différent. Alors elle lui avait donné la permission, jouant avec le feu... Mais le danger goûte tellement bon, le risque est si tentant... Et ses yeux étaient si... Bref il avait bu. Et maintenant elle savait. Et depuis, elle le voyait souvent, attirée par cet elfe sombre et peu loquace, trouvant entre ses bras un réconfort impossible à avoir ailleurs.
Et son entourage avait été si prévisible... Dès qu'ils avaient vu la marque, dans le creux de son cou, les hauts cris. Blablabla dangereux, blablabla il te rend bizarre, blablabla c't'un suceur. Et puis cette pensée qui tourbillonne dans sa tête, les paroles d'Astarix.
"C'est pas un gars pour toi Jeri... Il fait pleurer toutes les femmes, oublie-le."
Ce jour-là, donc, elle s'était disputée avec Okyto, tellement sûre qu'il se foutait d'elle, qu'elle l'avait poussé à la fuir. Et les autres en avaient rajouté une couche, lui serinant combien elle était folle, et instable.
Ça l'avait énervée, et elle était partie respirer un peu. Elle avait emprunté le chemin qui menait au Darkshire, sans trop savoir pourquoi.
Et ça l'avait menée là, dans cette brume couillonne qui l'empêche de chevaucher simplement sans réfléchir... Elle doit guider sa monture, vérifier que la route est toujours devant eux. Dans cette brume, donc, qui n'en finit plus d'épaissir.
Raaja, son pinto, s'arrête avec un hennissement de frayeur. Les oreilles couchées, les naseaux palpitant, l'oeil fou... Jerika lui parle doucement pour l'empêcher de se cabrer sans arrêt... Puis le silence. Épais, presque palpable. Et des pas. Des pas qui l'encerclent, se rapprochant sans cesse. Comme un écho, comme un souvenir, lui traversant la chair.
- Qui est là... ? QUI EST LÀ ?!
Elle a hurlé dans son communicateur aussi, Ewi s'en vient. Y'a rien d'naturel dans cette brume. Il fait si froid... Et l'épée dans son dos la brûle. L'anneau dans son cou lui pèse, lui irrite la peau.
- Tu....as.....quelque chose..... qui... m'appartient.
Cette voix...
Jerika ferme les yeux, sentant son coeur s'arrêter de battre, l'espace d'une seconde. Comme au bord d'un précipice, la voix la mène là où elle doit être... Une inspiration... Et lorsqu'elle ouvre les yeux, il est là, devant elle.
Kulgaan.
Intangible, presque transparent. Sa voix est de glace. Sans sembler la reconnaître, il réclame son bien, l'épée des Sarkator. Sa voix entre en elle comme le plus intime des amants, si dure, si impersonnelle... Le souffle coupé, l'irréalité, la souffrance de ne pas se voir reconnue par cet être qu'elle a tant aimé... Les forces lui manquent, et elle glisse en bas de sa monture, tombant à genoux dans la boue froide.
Et elle se met à pleurer... C'en est trop... Il est là si près d'elle et si loin... Ses mains se tendent vers lui d'elles-mêmes, après lui avoir rendu l'épée... Elle voudrait le toucher, le faire rester. Elle ne cesse de l'appeler, lui dire qu'elle l'aime, de ne plus la quitter...
Un flash, et l'instant d'après il a disparu.
Et elle reste là, vaincue, sous la flotte, à pleurer enfin son Kulgaan. Le sentiment de perde finale, les digues qui se rompent.
- J... Jeri... Jerika ?
Quelque chose a retenu l'attention du fantôme, peut-être est-ce l'intensité du chagrin de la femme affligée...
- Ma promise... Ma Bien-Aimée...
Ne pars plus, ne me quitte plus... Reste, reste ! Dis-moi quoi faire, dis-moi comment te retenir encore... La menace de l'éternelle séparation qui semble les attendre la fait paniquer, elle d'ordinaire si calme et raisonnable, la voilà affolée, le supliant de ne pas partir.
Puis la voix du père qui le retient, le tire en arrière, implaccable.
Trouve la tombe. Trouve la tombe de mon père ! Elle se rappelle, elle a lu le carnet... Et elle entraîne une Ewi complètement perdue à sa suite, qui ne comprend rien et refuse de croire ses yeux, car les fantômes... n'existent pas. N'est-ce pas ?
La tombe. Le sang. Le fantôme de Kulgaan. Il est entier, à présent. Il se rappelle tout. Il voudrait bien rester, mais il ne peut pas agir. Il essaie de l'embrasser, et elle voudrait mourir là tout de suite, tant elle a mal de voir sa main passer à travers son image... Le spectre a bien une idée, bien qu'il ne soit pas certain de la marche à suivre. Tout ce qu'il sait, c'est que l'âme de son père retient la sienne qui a été libérée lorsque Nafein a foutu le feu à son cadavre. Va ma douce, mon aimée, trouve le corps de mon père et brûle-le...
Plusieurs heures de course folle... Le vol à dos de gryphon les a épuisées, mais Jerika les pousse en avant, plus vite, il faut libérer Kulgaan... Plus vite...
Lordaeron. Enfin ce qu'il en reste. La voix de Kulgaan relate à l'oreille de Jerika des péripéties de son enfance, lui indiquant des endroits l'ayant connu petit, et vivant, si vivant...
Il la guide dans sa quête, attiré lui-même par les battements du coeur de son père. Et Ewi qui reste parce qu'elle a peur pour Jeri'... Frayeur... Les environs regorgent de non-morts, de réprouvés... Kulgaan a tôt fait de dénicher le cadavre de son père, un squelette, mort depuis des lustres. Et le coeur, intact, qui bat entre les côtes. Fétide, maléfique. Le feu salvateur lèche bientôt les os, puis un hurlement sinistre résonne dans la région... Puis... Plus rien. La présence de Kulgaan a disparu.
La folie... Jerika a le regard halluciné, les cheveux en bataille... La peur que la libération du père n'entraîne Kulgaan vers la Lumière, l'empêchant à tout jamais de revenir en arrière. Lorsqu'elle revient dans la clairière où la tombe, vide, du père de Kulgaan règne, elle ose à peine avancer... Chacun de ses pas la rapprochant d'une réponse qu'elle ne veut peut-être pas avoir. Et puis un grand cri... Un homme qui tombe d'on ne sait où, dans un grand éclaboussement, au milieu de la rivière. Puis l'épée des Sarkator qui tombe et se plante à côté de lui...
L'instant d'après, des bras protecteurs, des lèvres douces, réelles, sont sur elle. Elle est soulevée car encore une fois ses genoux l'ont trahie... Il est revenu !
Kulgaan est revenu. L'accord se remet à résonner, avec cependant quelque chose qui cloche... Comme une pulsation, un battement de coeur. Deux yeux brillants, reptiliens. Et le cou, à droite.
Qui démange.
Okyto se tient sur la berge, fixant Kulgaan avec une haine non dissimulée.
Okyto redresse la tête lentement, les lèvres encore rouges de son sang à elle. Et ses yeux clignent, lui rendant son libre arbitre. Elle a le coeur qui bat à se rompre, comme si le centre nerveux de son être était situé dans son cou, là où il avait enfoncé ses crocs délicatement.{Jerika} Relation
Le vampire âgé de plusieurs siècles devait boire pour regénérer. Jerika s'était laissée emporter par l'excitation de la traque, puis du massacre d'Eliaz. Le type avait agressé Okyto alors qu'ils discutaient tranquillement à l'auberge. Elle se souvenait de lui, un traître datant de la prise de la caserne, un pion sans grande importance. Mais un pion qui venait de trancher un bout d'oreille à Okyto. Il y avait longtemps, il lui semblait, depuis la dernière goutte de sang versée. Elle n'avait pas hésité à le prendre en chasse, sentant Okyto derrière elle. Depuis la première morsure, elle sentait quand il était proche. Bizarre. Un truc de vampire sans doute... Sans importance... Même si c'était grisant.
Ils avaient finalement réussi à le chopper, le gars. Elle avait pris un coup sur la gueule, mais le lui avait bien rendu. Et Okyto lui avait tranché une jambe. Par plaisir. Elle l'avait tenu, puis elle avait rit. Et le sang avait giclé, dégueulassant ses habits. Un bain devenait nécessaire, et ils avaient dirigés leurs pas vers une rivière non loin, laissant Eliaz se démerder avec sa guibole en moins.
Il avait soigné sa lèvre fendue, et elle avait allumé un feu. Mais le bain forcé l'avait fait grelotter, et il l'avait attirée contre lui, au chaud sous sa cape. Et leurs yeux qui ne se lâchaient plus, les sens décuplés par le sang, la violence. Et le corps de Jerika qui répondait de lui-même à la présence du vampire, sachant que si ses dents s'enfoncaient, là, dans la peau délicate de son cou, elle connaîtrait une expérience proche de l'extase. Et justement, il devait boire, pour regénérer.
Jerika a le souffle court, à présent. Okyto est si près d'elle, elle sent encore la torpeur, le délice de sa morsure. Ils parlent doucement, sa main à lui remontant sur sa jambe à elle. Et comme des adolescents, ils mettent un temps fou à franchir la distance qui sépare encore leurs lèvres. Et lorsqu'enfin elles s'unissent, la jeune femme perd toute contenance, toute morale... Dans les bras du vampire, celui qui lui permet d'être elle-même, et qui se réjouit de la voir aussi assoiffée de sang que lui. Celui qui ne lui demandera jamais de devenir la gentille femme au foyer attendant son homme, pondant une floppée de mômes. Ce que précisément Kulgaan avait l'air de lui demander, si peu de temps après son retour.
Alors même que le baiser se terminait abruptement, Jerika savait qu'elle ne pourrait pas résister, s'ils se retrouvaient encore seuls, tous les deux. Elle ne pourrait pas résister à cet appel, cette liberté offerte, cet elfe qui l'accepte pour ce qu'elle est.
Et alors que Nafein débarque, entraîné loin dans une folie incompréhensible, Jerika a l'impression d'entendre l'accord se tordre, et s'agrémenter d'une troisième note, qui elle, détruit l'harmonie des deux premières, tout en faisant vibrer la note du milieu, furieusement... Alors que la première note, elle, tonne de colère...
Se laisser emporter par la passion, se laisser porter par un amour naissant. Se laisser prendre par désir, et par envie. Se laisser toucher, sous les replis des masques, au plus profond du coeur.{Jerika} Confidence
Regarder cet être qui auparavant me faisait peur, et oser lui dire simplement je t'aime.
L'accompagner, et savoir que si l'envie me prend de tuer, il ne s'en formalisera pas. Savoir qu'il est là, malgré mes décisions hâtives, moi qui n'ai jamais appris à consulter les autres. Moi qui ai toujours refusé de compter sur les autres.
Me laisser bercer par sa présence rassurante et pourtant électrisante, sans s'imposer, ni m'imposer.
Deux êtres dans ma vie maintenant qui viennent de se greffer, un bébé appartenant à un de mes Rois, et ce vampire qui est toujours là, sans me juger. Serais-je en train de tisser ma propre toile, planter mes racines dans un monde que je ne faisais que survoler ?
Créer des attaches contre toute logique... ? Et ma vie, qui n'en finit plus de s'évader, de tous les côtés...
Dans cette masse inerte faite de chiffons enchantés, entre ses entrailles de tissus, tu dors. Je sais que tu peux m'entendre, quand tu le veux. Je sais qu'on ne peut se comprendre, même si on voulait.{Jerika} Confidence-bis
Je t'imagine, recroquevillé, prisonnier. Et je repense à cette douleur qui a envahi tes traits, lorsque je t'ai ordonné d'agir contre ton coeur. Et à ce coup de poignard que j'ai ressenti lorsque tu m'a dit que je t'avais trahi. Loin de moi cette idée, mais un coup de bluff est un coup de bluff.
N'as-tu pas compris que pour moi tu représentes la même chose que lui ? N'as-tu pas compris que malgré le mur qui te renvoie tes sarcasme, ce masque que j'ai appris à porter, je souffre de te voir ainsi ? Tu m'as demandé de te garder loin d'elle, d'éviter que tu ne tombes entre ses mains. Alors, mon ami, je vais te cacher là où on ne saurait te trouver. Un danger, pour moi, de ne pouvoir te ramener à moi au moment voulu, mais une sûreté pour toi, parce que ma négliceance a déjà éloigné de moi cet autre maître que mon coeur désire.
Mon Djinn, mon Radjah. Tes paroles sont miel, et sont venin. Tes mots ne cessent de me tourmenter, et bien brillante est la lueur que tu me fais miroiter. Pour toute l'affection que j'ai pour toi, le respect, et aussi la haine, je l'empêcherai de t'emporter.
Puisses-tu cesser un jour de me regarder à travers le voile du Jeu, et me voir telle que je suis, et comprendre que je n'ai pas besoin de ces flatteries, ni que tu me repousses puis me ramènes vers toi, pour t'accorder ma loyauté.
Car je sais, que comme lui, tu sauras m'emener toujours plus loin sur les chemins de la Douleur.
Dors, dors Radjah... Et prie que ta douce Scheena ne m'emmerde plus trop, car nombreux sont ses ennemis à avoir envie de lui arracher le coeur, comme elle le mérite. Jusqu'ici mon refus a suffit, mais je ne saurais retenir les envies meurtrières de ceux qui me protègent, lorsqu'ils me voient menacée.
Suis-je Pion ou Reine, Fou ou Cavalier, la vérité est que de mes deux Rois, l'un devra être délaissé.
À toi, mon ami, mon associé, mon maître. Toi qui aujourd'hui surnage dans une marre inimaginable, toi qui a été joué par ta propre soif de puissance. Toi qui a sombré malgré ta grande force, sous les coups d'une joueuse experte, ou simplement sous les coups d'un ennemi profitant de ta faiblesse, toi qui aujourd'hui doit compter sur nous, "tes deux humaines".
À toi Ezul Morthis, petite chose aussi prisonnière maintenant que l'est mon Djinn de ma poupée, je ne cesse de penser, imaginant que tu espères que nous te trouvions. Pour toi, j'aurais déplacé les montagnes, offert mon dernier souffle. Je n'aurai de répit que lorsque tes yeux, habités actuellement par un esprit étranger, me renverront le regard connu et attendu, et que tes lèvres m'offriront de nouveau ce sourire qui a fait chavirer tant de coeurs.
Accroche-toi, ne disparais pas. Ne pars pas...
Ne pars pas.
Tes yeux étaient si froids. Tes lèvres si dures, lorsque les mots ont franchi leur barrière. Et ma main a tremblé, hésité, lorsqu'il a fallut tirer sur la chevalière, rompant la chaîne que j'avais passée dans l'anneau. La peau de ma nuque s'est abîmée alors que l'éclat émeraude de la nouvelle pierre a brillé dans le soleil déclinant. Je ne la porte plus, mais pourtant je sens encore la morsure du métal dans mon cou, et la présence discrète de la pierre des Sarkator contre ma poitrine.{Jerika} Dresser la furie.
Déchirée. Pas que la peau qui l'ait été. Que je ne vois jamais cette pierre au doigt d'une autre, parce que ce doigt sera tranché. Et la vie fauchée.
Chérir le souvenir de ce qui aurait pû être dans un monde meilleur...
Tu es libre, amour, mais ne t'avise pas d'offrir ce talisman à une autre.
Va, amour, on se retrouvera dans le monde d'après...
Et il aura fallut qu'elle voit ça... Elle entre toutes. Il fallait que Scheena assiste à cet échange qui m'a brisée, et qui pourtant n'a duré que quelques minutes...
Les insultes pleuvent. Jerika vient de prendre un autre coup dans la figure, avant ça il l'a frappée dans le ventre, les côtes. Elle aura sûrement un oeil amoché. La colère monte en elle, lentement. Puis se transforme en rage. Elle sait qu'elle réussira. Il le faut. Son esprit divague, se tend vers le désir, vers ces yeux jaunes qui la fixent, l'appellent. Et chaque fois qu'elle cède à sa volonté, il la frappe. Tous deux savent qu'elle n'apprendra pas à lui résister autrement. Têtue comme une mule. Le seul moyen est de la rendre suffisamment en colère pour que le désir cède la place à la rage. Et qu'elle riposte. Et petit à petit, peut-être qu'elle arrivera à associer ces regards avec la rage, et pourra s'en libérer avant que le pire n'arrive.{Jerika} Confidence à Ezul
Avoir le choix. De se laisser emporter par la volonté du vampire, ou d'y résister. Avoir l'occasion de se débattre, d'éviter de se faire mordre par le premier affamé venu.
Éviter de se retrouver avec l'âme meurtrie, le sentiment d'avoir été violée, trahie. Par son ami qu'elle a toujours soutenu et qui le lui a bien rendu. Celui à qui elle venait de sauver la vie, retirant une dague bien placée dans le dos qui l'empêchait de récupérer.
Nafein.
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Il gisait par terre, dans une flaque de sang. Livide, glacé. Enfin plus que d'ordinaire. Elle lui avait arraché la dague du dos et s'était entaillé le poignet droit, laissant couler son sang dans la bouche de son ami. Pas de morsure, pas d'extase, juste le sang qui fait office d'élixir guérisseur. Son sang humain, chaud. Rien d'autre, ensuite, que la douleur causée par la bouche de Nafein qui tire sur ses veines, le temps de boire quelques gorgées. Rien d'autre non, car le reste est réservé à Okyto. Elle le lui a dit, déjà, à Nafein. Hors de question de ressentir cette extase avec un autre, ce serait le tromper.
Et Nafein s'était redressé et l'avait prise dans ses bras, la remerciant de l'avoir sauvé. Aucune méfiance, aucune malice... Elle l'avait réconforté, et d'une voix douce elle lui avait dit qu'il devait aller chasser.
- Dormir... je dois dormir.
- Dormir ? T'es pas bien, tu dois boire. Allez on sort et je t'aide à choper un défias.
- Dormir.....
Elle avait soupçonné un poison et avait vérifié la lame de la dague qu'il avait dans le dos quelques minutes auparavant, mais non... Rien. Il était juste faible. Il devait boire.
- Nafein tu peux pas dormir t'as besoin de boire. Allez on y va. Ou je vais t'en chercher un défias ?
- Boire...
- Oui boire.
Et alors qu'elle se préparait à l'aider à se relever, il avait enfouit son visage dans son cou, et elle avait senti les crocs sur sa peau.
- Non ! Nafein NON !!!
Trop tard... Il était entré en elle, et aspirait maintenant sa vie, son sang, alors qu'elle laissait échapper un râle. Plaisir ou rage ? Les deux sans doute... Puis il l'avait repoussée, trop rapidement pour l'esprit embrumé de la jeune femme. Le manque. Pas assez, trop court... Elle avait agrippé ses épaules et l'avait attiré de nouveau vers elle, ou plutôt le désir en elle la faisait agir. Elle était perdue, sans une once de volonté, accro, habituée à la morsure d'Okyto, habituée aussi à en avoir toujours plus, et à s'y abandonner corps et âme.
Nafein l'avait remordue. Sans boire... Il était resté là, ses crocs en elle, les lèvres et la langue sur sa peau, la tenant étroitement enlacée. Et le temps avait filé. Elle n'était qu'une veine palpitante, qu'un réseau de nerfs tendus. Et il l'avait lâchée, rompant le charme. Elle avait porté une main à son cou, horrifiée, et avait posé sur lui un regard accusateur, blessé. Et il s'était enfuit, prenant conscience qu'il venait de mordre son amie sans son conscentement.
L'équivalent d'un viol, pour Jerika. Elle était sortie en titubant et était allée rejoindre Neph'o. Se vidant de son sang tranquillement par les deux petits trous qu'il n'avait pas soignés dans sa hâte.
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Ca y'est. La rage. Jerika lance une droite au vampire, qui attrappe son poignet et l'attire contre lui, la plaquant, déchaînant tout son pouvoir dans ses yeux afin de la soumettre pour de bon. Mais la colère la fait lutter. Elle a mal, elle en a marre, et elle veut cogner en retour celui qui la frappe. Son genou se plie et remonte férocement dans l'entre-jambes d'Okyto, qui tente de l'embrasser, la tenant toujours sous son regard impérieux. Ses lèvres sont si d.... Non. Elle les mord, ces lèvres, et le repousse de ses dernières forces, parvenant à fermer les yeux, enfin.
Elle est meurtrie, endolorie, mais elle a réussi à le repousser, après de très longues minutes de combat. Okyto essuie le sang sur ses lèvres et lui sourit. Il l'embrasse doucement, puis la porte dans leur couche, elle doit se reposer maintenant. Pas de pitié pour la tête de mule, elle doit apprendre, et les mules, c'est avec des coups qu'on les dresse.
Jerika se roule en boule, épuisée, et sombre dans un sommeil réparateur, le nez enfoui dans leurs couvertures, lovée dans l'odeur d'Okyto... Confiante, aimante... Et pour la première fois de sa vie, soumise à l'entraînement et à la volonté d'un Elfe qui sait comment la manier... D'une main de fer.
M'entends-tu, Ezul ? Dans ta prison de verre, si fragile, y-a-t-il de la place pour nos voix, notre amour, nos espoirs ?{Jerika} Départ
Nous risquons gros, misons gros. En dormant, plus tôt, il m'a semblé t'entendre. J'espère que tu sais, que tu sens que nous ne t'abandonnons pas.
Je n'échouerai pas une deuxième fois. Je dois résister à l'envie de regarder ton reflet bleuté, minéral, irréel... Et chaque fois que je croise ton corps, si grossièrement habité par l'intrus, mon coeur s'arrête de battre, et se serre douloureusement. Pendant que ma petite vie se déroule normalement dans les rires, les joies, les pleurs et la douleur, je ne peux faire taire cette petite voix dans ma tête qui me rappelle que toi, toi, tu es là... Coupé de tout, sauf de la folie qui te guette...
Neph'o reste forte, malgré le chagrin qui l'accâble. Droite, fière... Elle est digne de toi, et si courageuse... Elle est là, je suis là.
Je ne t'oublie pas. Bientôt tu seras libre.
Ne pars pas... Ne pars pas.
Te voilà de nouveau parti vers le Nord. Je me suis efforcée de contenir ma tristesse, serrant entre mes doigts la chevalière que tu m'as redonnée. Tu préfères la guerre à la douleur que je te cause, jamais je ne t'en blâmerai. Puisses-tu trouver ce que tu cherches, je t'ai fait une promesse, avant de te laisser, après un dernier baiser.{Jerika} Trahie
Et cette promesse, rien ne pourra m'empêcher de la réaliser.
Adieu, Kulgaan.
Puisses-tu également me pardonner.
La peau grésille au contact de la lame chauffée à blanc. Y'a comme une odeur dégueulasse de bûcher qui se répend, alors que la jeune femme étouffe un gémissement de douleur. Le bourreau, en l'occurence son frère, retire la lame et contemple son oeuvre d'un air lugubre, puis recommence, encore et encore, mêlant une poudre colorée à la chair brûlée, dessinant peu à peu la forme d'un crâne.{Jerika} Nocturne
Cachant un peu plus, à chaque brûlure, les traces de morsures sur sa gorge blanche.
Trahison.
La potion calmante appliquée sur la peau brûlée commence à faire effet. Contre toute attente, me revoilà sous un porche à attendre le matin, la tête trop pleine. Il est temps de me reprendre en mains... Je me suis laissée aller à déconner, offrant une trop grande emprise sur moi aux gens que je croise. Autant de crève-coeurs. Je suis allée chercher ma fille, après avoir faussé compagnie à Mahelle, Qadjaar et Kohrin. Pas d'humeur à supporter leur cynisme.{Jerika} L'étranger
Il flotte. Encore. J'aime le bruit de la pluie qui ruisselle sur le toit de la maison de mes amis, endormis là-haut. La petite dort entre mes bras, bercée par le chant des gouttes d'eau. Je ne lui ai pas trouvé de nom encore. Je devrais parler à son grand-père, mais voilà longtemps que je ne l'ai pas ramené vers moi. J'ai bien pensé le rejoindre lui, à un moment. Mais je sais bien maintenant que ce que j'éprouve vis à vis d'Ezul m'empêchera toujours d'offrir mon bras et ma loyauté à quelqu'un d'autre que lui. Malgré tout le respect et l'affection que j'ai pour toi, Radjah. Je sais, ça te fait une belle jambe. Mais j't'ai pas demandé ton avis. C'était bien alléchant, mais rien ne remplacera l'amitié d'Ezul.
Aller vers toi serait le trahir, et me trahir en même temps. Quand j'ai vu ses yeux, si noirs, redevenir humains, et verts, j'ai pensé défaillir. Je n'avais pas pleuré comme ça depuis longtemps (excepté lors de ma rencontre avec le fantôme de Kulgaan, mais c'est différent !), je ne pouvais pas détacher mon regard de ces yeux, ce vert émeraude... Les yeux de celui pour lequel je combattrai jusqu'à mon dernier souffle.
J'ai peut-être merdé sur plusieurs choses, dans ma vie, mais pour celle-là, je ne faillirai pas. Je ne reprendrai pas ce que j'ai donné. De toute façon j'en serais incapable.. Voilà longtemps que j'ai dépassé le stade de simple relation professionnelle, et Ezul m'est aussi cher maintenant que le sont Neph'o et Nafein. Voir même Jérémia, même si notre relation est empoisonnée, depuis le temps.
Les longs jours où il a été pris par le Lézard, le Sans-Nom, auront suffit pour me mettre la tête à l'envers. Le voir parler, bouger, rire, avec cette autre voix, cette autre présence dans son ventre, me mortifiait, me glaçait le sang. Et combien chaude a été son étreinte, ensuite, lorsqu'enfin il nous a été rendu. Nous "ses deux humaines", chialant comme des mômes entre ses bras, moi lui martelant le torse à coups de poings, l'insultant tant j'avais été inquiète, et certaine de ne jamais le revoir.
Ce que j'ai dit à Scheena, l'autre soir, sera accompli. Peu importe ce qu'ils (ou elles...) lui feront, un jour ou l'autre, il en triomphera, avec nous deux à ses côtés. Et ce jour là, eux (ou elles...) jarteront, et nous serons toujours là. Je serai toujours là.
Comprends-tu ce que je te raconte, ma fille ? Je deviens gaga, à parler à un bébé qui me dort dans les bras... Ma fille.
Je sais bien que je ne serai jamais ta vraie mère, mais laisse-moi l'imaginer, veux-tu ?
Il est temps que j'appelle ton grand-père. Il sera déçu, peut-être. Ou pas. Comment savoir ce qu'il pense, de toute façon ?
Mais il comprendra j'espère. Ce n'est pas le pouvoir qui m'intéresse, mais tenir ma promesse, rester droite et fidèle à mes proches, à mes principes.
Et rester sous son regard émeraude, toujours fidèle au poste.
"Laisse ceux que tu aimes partir, s'ils te reviennent c'est qu'ils t'aiment vraiment, ne t'ont jamais oubliée".
Il est temps de rentrer, ma fille, vers ceux que j'aime vraiment, et qui m'ont laissée partir par respect, et par amitié.
Pour vous, Nafein, Neph'o, Jéré'.
Et pour toi Ezul.
Sois forte, Jeri'. Tourne ton regard vers le Nord, le temps viendra où la vie ne vous séparera plus.
Et toi, petite ? Maélie ? Méléanne ? Osalie ? Hm..
Lalita aura son bébé d'ici quelques jours, ma belle, tu auras un ou une compagne de jeu. On ira la visiter tiens... Ouais. Il est temps.
Quelque chose m'échappe. J'ai rencontré le frère de Kulgaan. J'savais pas qu'il avait encore de la famille en vie... Je ne dois pas si bien le connaître après tout... Velcan, son nom. J'ai envoyé une missive rapide dans le Nord, pour prévenir Kulg'... Il m'a dit de faire attention à ce gars, parce qu'il veut ptête le tuer. Il a un drôle de tatouage sur la poitrine, un genre de lame avec des flammes, et puis un numéro. J'l'ai cogné, il me faisait chier. J'l'ai fouillé aussi, pour trouver un indice qu'il veut du mal à Kulgaan, mais à part ce tatouage j'ai rien vu.
Il me manque.
Je n'ai plus de nouvelles d'Okyto, au fond ça ne me surprend pas. Chassez le naturel... Bref.
Je vais devoir coincer l'étranger ce soir, le faire parler... Même si c'est son frère, il sera mort au matin s'il représente un danger pour Kulgaan.
Qu'il se fasse tuer à la guerre c't'une chose que je peux pas contrôler... Mais je peux au moins faire ça pour lui, empêcher que son frère lève la main sur lui...
Jerika fredonne doucement, le bébé entre ses bras. La chambre est accueillante, chaleureuse. Un berceau dans un coin, fabriqué avec la passion, l'amitié et l'amour de Nafein. Les petits draps de satin sont défaits, et Osie, qui a maintenant presque trois mois, gazouille en entortillant entre ses doigts une longue mèche libre des cheveux bruns de sa "mère".
Nafein dort, nu, dans le grand lit. Jerika pose sur lui un regard calme et posé, un sourire étire ses lèvres.
Quelle relation ambigüe...
Un puissant mélange d'amitié, de fidèlité, de loyauté, d'honnêteté, de passion et d'amour. Aucune promesse. Être deux pour affronter ce qui les tourmente. Un protecteur et sa protégée.
Le fantôme du père de Kulgaan ne les a plus hantées, Osie et elle.
Osie... C'est le nom qu'a choisi Kulgaan pour toi, ma fille.
Elle avait dû, s'arrachant le coeur, soustraire la petite au regard de Kulgaan... Son père les mettait trop en danger, et s'il ne savait pas où elle était, il ne risquait pas de les emmerder non ? Ainsi s'était établi une vie paisible, avec Nafein. Son fidèle, loyal Nafein.
Qu'elle avait ramené à elle, de sa folie, d'une simple incitation à la mordre, elle qui accusait un manque horrible de cette extase depuis sa rupture avec Okyto. Et soudainement ses crocs avaient été en elle, une fois... puis deux... Et la toute petite pièce avait été témoin de leur folie, annoncée depuis ce jour dans la jungle, il y avait bien des mois. Ce jour où Nafein, vivant, avait réclamé un baiser, un seul. Et elle avait été prise à son propre piège, s'attachant à lui au fil des lunes, alors qu'elle comptait seulement renforcer l'attachement de Nafein à sa cause, à Anathème.
Et la transformation en vampire de Nafein n'avait en rien affecté leur relation, et le plus curieux, vu comment elle réagissait aux morsures vampiriques, était qu'avec Nafein, elle était bien tout le temps, et l'union de leurs corps était aussi intense pour elle avec que sans morsure.
Jamais de dispute... Jamais un mot plus haut que l'autre. Une séduction perpétuelle, puisqu'elle répondait "non" à chaque fois qu'il lui demandait d'officialiser leur union. Elle était à Kulgaan, et lui à Ewi. Alors chaque nuit était séduction, si l'un voulait l'autre, ce n'était pas acquis. La complicité, la simplicité. Voilà qui était étranger à Jerika.
Aucune promesse. La passion sans entrave.
En sa présence, elle pouvait oublier que Jérémia était mort la même nuit que Radjah. La nuit où Ezul avait joué ses pièces, et avait mis en échec le deuxième Roi. Radjah, trahi, avait posé le seul geste qui pouvait le sauver du bluff d'Ezul, et avait tué Scheena, sa haine, son amour, accomplissant l'acte interdit par sa nature de Djinn, se détruisant aussitôt. Elle avait regardé son Radjah tomber, puis disparaître. Pour de bon.
Jerika avait ressenti un grand vide, depuis. S'était sentie trahie.
Ezul, redevenu l'homme qu'elle a connu, fort, puissant, et froid. Si froid, et si épris maintenant de la femme que Radjah avait aimée, que Neph'o s'en était fait éclater la cervelle. Et Cheena qui avait ramené Scheena... Elle aurait dû la laisser crever... Neph'o ne se serait pas suicidée, si Scheena avait été enterrée.
Et pourtant elle était de retour aux côtés d'Ezul, son Lord, son maître. Et elle pleurait ses pertes, Neph'o, Jérémia, Radjah. Encore qu'Osie, sa fille, avait en son ventre le secret qui lui permettrait de tenir une promesse faite au Djinn, celle de l'aider à se libérer. Radjah reviendrait, ce n'était qu'une question de temps.
Et ce jour-là, Ezul verrait bien que Scheena était à Radjah, et qu'elle ne méritait que sa lame entre les côtes.
D'ici-là, elle profitait de chaque instant avec Nafein, Kulgaan disparaissant constamment, les laissant seules, Osie et elle. Pendant que le bébé s'habituait à une autre présence masculine, à une autre voix, aux attentions nombreuses de Nafein pour elle, à cette "famille" étrange qui n'en était pas une.
Du moins pas encore... N'est-ce pas ?
De toute façon, la peur lui nouait les entrailles, la dernière fois qu'elle avait osé s'abandonner entre les bras d'un autre que Kulgaan, elle avait été trahie, et quittée pour une autre, de façon totalement incohérente. Nafein avait beau être d'une toute autre trempe qu'Okyto, elle redoutait secrètement qu'il ne la quitte aussi, un jour, et s'acharnait donc à maintenir une distance entre eux, afin d'éviter de se retrouver anéantie, encore. Mais elle ne pouvait pas se cacher sa joie lorsqu'il entrait dans la maison, ou lorsqu'elle entendait sa voix, dans sa tête. Son sourire, ses jeux avec le bébé...
Mais quand on a appris que les bonheurs sont ruinés systématiquement, on fait attention à ne plus compter sur lui... non ?
Quand me quitteras-tu Nafein... ? Quand me retrouverai-je seule avec mon enfant ? À attendre un homme à moitié fou qui partage son temps entre Austrivage à la guerre, et le Northend.. ?
Est-ce possible que certaines choses perdurent, dans ce monde de fous... ?
L'étreinte est dure, froide, cruelle. L'armure d'Ezul lui broie les chairs, alors qu'elle plonge les yeux dans son regard malsain. La main droite du Chevalier est plaquée sur sa nuque, le bras gauche la tient plaquée contre lui, aucune issue possible.
Un fin sourire étire les lèvres d'Ezul alors que la Douleur envahi la rôdeuse. Son esprit hurle, se tend vers Nafein. Lui dire qu'elle l'aime, qu'il n'oublie jamais... La Mort si proche. La Mort par la main de celui qu'elle a juré de servir. Qui lui a donné un choix. Mais qui n'accepte pas celui qu'elle a fait.
À choisir entre le Northend... Et rester avec sa famille, à attendre l'heure de Gloire du Roi, pour finir en goule comme tous les autres.
Elle n'était pas comme ça, avant. Bordel non. Faut croire qu'avoir un môme dans sa vie change l'angle de vue. Et Nafein qui lui avait fait clairement comprendre qu'il ne souhaitait plus suivre le Mort. Qu'il voulait sa Jerika entière, humaine, comme toujours. Qu'il la quitterait, le cas échéant.
Et son esprit avait plié. Elle avait cru qu'elle avait véritablement le choix. Même si ce choix la déchirait. Abandonner Ezul était une trahison. Non seulement de ses engagements, mais aussi d'elle-même. L'honneur, la loyauté, étaient tout ce qui l'avait maintenue à l'abri de la folie pendant tout ce temps. Être le bras droit d'un homme de la trempe d'Ezul faisait l'objet de sa fierté, et jalonnait sa vie de façon stricte, lui donnant un sens. Sinon les démons auraient tôt fait de s'emparer de ses nuits, et elle n'aurait pas valu mieux que les assassins furieux sans gloire ni honneur.
Nul doute qu'elle n'aurait pas survécut longtemps loin de son Maître. Elle se serait flétrie, affaissée.
Et voilà que maintenant il la tenait entre ses bras, la broyant. Mourir aux mains de son Maître... C'était encore trop d'honneur. La Douleur irradie maintenant dans toute sa colonne vertébrale, enplissant chaque repli de son cerveau, engourdissant les membres. La main de Jerika se tend vers lui, encore, et s'agrippe à son épaule. Offerte. Vas-y Ezul, tue-moi.
Résignation.
Ses lèvres murmurent ce qu'elle a déjà dit, un je t'aime échappé, non pas comme une supplique, mais comme une offrande. Qu'il sache que même en cet instant, elle n'a jamais cessé de l'aimer. Encore et toujours ce sentiment humain qui rend fort ou faible, selon le cas. Et elle sait qu'il comprend, encore. Qu'il sait que c'est ce sentiment qui l'a attachée à lui pendant tout ce temps. L'amour d'un élève pour son maître, d'une fille pour son père. Et elle ferme les yeux alors qu'il murmure qu'il l'aime aussi.
Puis la Douleur se résorbe. La voilà libre. Ses paroles tombent sur elle comme des coups, elle voudrait se dérober mais elle accepte, malgré elle. Sans comprendre. L'esprit embrumé par la souffrance. Et par ce geste tendre de sa part, lorsqu'il défait sa coiffure afin de libérer ses cheveux sur sa nuque.
Puis tout se déroule très vite... La voix d'Ezul dans sa tête... Nouveau ça. Celle de Nafein, froide et distante. Et son reflet dans la lame d'Ezul. Cette lueur étrangère dans son regard, autrefois gris. Et maintenant hanté de violet. Lorsqu'elle avait compris, elle avait voulu se jeter sur lui pour lui faire mal. Puis un ordre. Sec. Dans sa tête. Et elle avait brisé son attaque et s'était assise devant lui, soumise. Pour se relever à son ordre.
Un glyphe violet gravé dans la chair de sa nuque. Marquée.
Soumission. Totale. Sans retour. Aucune fuite, aucune rébellion possible. Et le pire... C'était que d'une façon perverse, elle le sentait en elle à chaque instant. Et que par tous les diables, elle aimait ça. Malgré les menaces, malgré la fatalité. Quel genre de monstre était-elle donc à la fin, d'apprécier une si drastique manipulation ? D'aimer savoir que si l'envie lui en prend, Ezul pouvait réduire en miettes ce qui lui reste de conscience ? De savoir qu'elle ne pourra plus le décevoir, ne pourra plus faiblir.
La Honte. Le Doute. Le Plaisir.
Se sentir humilliée comme une enfant gâtée grondée. De devoir subir cette épreuve, de devoir... prouver qu'elle mérite sa confiance. Et comme chaque fois qu'il jouait avec elle, un mécanisme se mettait en marche en elle. Le Désir. Celui de plaire, celui de faire ses preuves, celui de le rendre fier d'elle. Et de temps en temps provoquer sa colère afin de le sentir lui tordre l'esprit ? Pourquoi pas... Elle avait voulu ça. Être un instrument de mort. Eh bien elle l'était véritablement, maintenant.
Restait à protéger Nafein et Osie de ce qu'elle était devenue. Parce qu'il avait été très clair que si l'elfe se mettait sur leur chemin, elle devrait le tuer. Et comme elle n'avait plus le luxe de refuser un ordre...
Lui dire adieu ? Le pousser à la quitter ? Vivre le reste de ses jours dans la Douleur d'avoir perdu son Nafein ?
Et si c'était ça, sa punition ? Rompre une allégence... mérite un contrecoup violent...
Jamais personne n'avait pu la torturer aussi intensément, et de toutes les Douleurs, la souffrance mentale était de loin la pire... La plus satisfaisante... Douleur, Plaisir... Extase. Devenir folle ? Bah. Elle l'était déjà... La preuve ! Expier dans la douleur, payer le prix fort. Se sentir vivre alors que l'existance ne tient qu'à un fil.
Une autre étreinte cette fois, presque paternelle de sa part... Des mots tendres, un sourire attendri... Non jamais plus tu n'auras à être déçu de moi, Morthis...
Nafein, Nafein... Mon aimé, ma vie...
Et tout s'embrouille, alors que l'elfe la tient entre ses bras, son pouvoir entrant en elle comme une lame, le choc des volontés dans son esprit, celle de l'Elfe contre celle du Chevalier de la Mort.
Un champ de bataille dont l'enjeu était la liberté de l'humaine... Si douce, si douce douleur... S'abandonner... Se résigner... Le Northend... Ezul...
Nafein.
Flou. Tout devient embrumé. Des visages dansent devant mes yeux sans que je puisse y coller des noms. Bien sûr ça me revient, après un moment de frustration. Mais même la frustration perd de sa signification...
Le glyphe sur ma peau est mon unique préoccupation, désormais. Les mots d'Ezul dans mon esprit, son rire mesquin, sa foi en son maître. Mon maître aussi, maintenant. La morsure froide de l'énergie nécromantique m'empli toute entière, longeant mes vertèbres, engourdissant mon cerveau, me faisant frissonner... C'est comme s'il était là, à chaque moment, et que sa main froide éveillait chaque centimètre de ma peau.
Combattre... Nafein est si naïf... Si persuadé qu'il arrivera à contrer Ezul... Tout ça se terminera mal, mais quelque chose m'empêche de m'en faire. Je sais que je devrais m'inquiéter, ou à tout le moins être fâchée, rager, foutre des coups, je sais pas... Mais non. Quiétude. Mais je ne sais plus si elle est mienne, ou si c'est celle d'Ezul. J'entends les bruits extérieurs à mon cocon de glace, irréels. Ma main s'est tendue d'elle-même vers le visage de Nafein, plus tôt. Je sais au moins que c'était une partie de moi qui se tendait vers lui, et non pas une partie d'Ezul. J'ai faillit tomber dans les pommes, à sentir sa peau sous mes doigts. Puis tout est devenu flou.
Se laisser glisser, doucement... La résignation... La facilité. La servitude. Encore que je fait ce que je veux, dans la mesure où ça ne lui nuit pas. Ma vie est maintenant bercée aux rythmes de ses mots, ses pensées, ses ordres. Un lien que nul n'a partagé avec lui jusqu'à ce jour, de ma connaissance. Riche cadeau. Qui a son prix, certes. Et qui ne sera pas longtemps mon seul fardeau. Bientôt d'autres seront marqués, entraînés vers le Northend. Mais que restera-t-il de moi ? Je me sens doucement vaciller, sombrer dans cette torpeur délicieuse, cette félicité de ne plus avoir à me soucier des choses. Peu importe ce que je veux, maintenant, je ne trahirai plus...
Une seule chose me manque, c'est la présence de Nafein... Mais ça ne tardera plus, et il marchera à mes côtés vers le Nord, bientôt.
Le Nord, où Kulgaan est probablement allé se faire tuer, l'accord s'estompe... Comme tout le reste...
Servir... Tuer... Gagner.
Plus rien de stable. L'esprit s'embrouille, les visions défilent à un rythme fou. Un moment de lucidité suit de longues minutes de délire. La rôdeuse change de sujet toutes les cinq secondes, puis reste elle-même pendant de longues heures. La seule chose qui reste constante est la Douleur.
Celle d'avoir perdu Nafein, et celle du glyphe.
Les doigts de la jeune femme caressent la marque régulièrement, machinalement. Les tourments l'ont laissée tranquille suffisamment longtemps pour qu'elle puisse recruter un voleur qu'elle entendait bien hisser à de plus hautes sphères, Bahaal. Arrogant, hilare, fou. Hautement corruptible, elle n'avait eu qu'à brandir la promesse de richesses. Il avait compris qu'un serment envers elle était un serment envers Ezul Morthis, envers le Fléau. Elle lui avait laissé la chance de reculer. Il ne l'avait pas fait. Il lui rappelait celle qu'elle avait été, quand Ezul lui avait tendu la main. Le voir s'agenouiller devant elle l'amusait au plus haut point, puis un éclat de rire dans sa tête, le rire d'Ezul, achevait de la mortifier.
Puis de nouveau la brume. Elle avait entendu la voix de Kulgaan, contre toute attente, au détour d'une ruelle. Elle l'avait repoussé, évidemment. Pour le protéger, mais aussi parce qu'elle n'était plus la Jerika qu'il connaissait. Elle était à Nafein. Malgré le glyphe.
Douleur de nouveau... Oumbra, la Nephilim, lui avait remémoré ses pêchers. Noirceur. Déprime. Mélancolie... Nafein.. Nafein.
Tout semble se liguer contre elle... Une dague dans l'épaule, lancée par une fidèle de Correlli... La Douleur la fait frissonner, la lassitude s'empare de son esprit... Comment déterminer ce qui est réel et ce qui ne l'est pas ? Une femme... Un nom connu. Merenptha. Une Zahamet... Comme Radjah... Radjah qui a préféré le néant plutôt que de subir les tourments d'Ezul. Qui a été trahi même dans la mort par celle qu'il avait aimée, Scheena ramenée des morts qui maintenant roucoulait au bras de son ennemi. Scheena... ?
Mais de quoi je parle, là ?
La Zahamet obtient les informations voulues, Jerika est agenouillée par terre, épuisée, lessivée. L'esprit enfumé, las... Si las... La rôdeuse connaît les Zahamets... Et si elle osait...
- Rendez-moi un service, voulez-vous ?
- Oui ?
- Une dague, dans la nuque. Rapide.
Ezul avait été lent à réagir. Et un rire dément sortait des lèvres de Jerika alors que la dague de la démoniste lui ouvrait la carrotide. Le sang qui gicle, sur sa belle robe. Elle rit, parce qu'elle sait que si Ezul parvient à la ramener cette fois, il n'y aura plus de conflit. Il s'arrangerait pour effacer de sa tête tout ce qui la pousse à regarder derrière. Ou la ramènerait en goule, ce qui revenait au même. Ou la laisserait en paix. La démoniste semble aimer ce qu'elle voit. La robe blanche se teinte de rouge, devient collante et froide. Une dernière pensée pour Nafein, je t'aime mon amour...
Et fermer les yeux sur cette vie, le sourire aux lèvres. Sentant la dague de la démoniste broyer ses chairs, la démembrant. La Douleur est pleine, maintenant. Ronde comme la lune, comme un ventre de femme enceinte. Pleine et joyeuse. Sentant la présence de Nafein près d'elle, dévasté.
Puis, finalement, un bref aperçu du monde d'après, puis la voix d'Ezul. Froide. Cruelle... La détournant de la lumière, se penchant sur son corps mutilé, elle a un geste tendre pour son amant, puis cherche d'où vient la voix de son maître, qui la commande même dans la mort...
Les ténèbres, ma belle. Tu n'es pas faite pour la lumière, il ne te laissera jamais partir, tu le sais déjà. Tu es à lui, à Ezul. Corps et âme, tu te souviens ? Reste dans le noir, attends qu'il décide de s'occuper de toi... Profite de ta Mort, Jerika, car c'est la seule que tu auras. Tu t'es donnée au Fléau, le Fléau ne laisse jamais partir ses proies...
Et le silence. Et le noir. Et le froid.
... près d'un tertre où s'élève une pierre tombale marquée des armoiries d'Ezul Morthis, dans un matin enveloppé des brumes venant du lac, le corps de Jerika gît, allongé sur l'herbe, semblant paisible malgré une blessure à la cuisse qui n'a pas eu le temps de cicatriser.
Les doigts d'une main sont refermés sur une bague en os, l'autre main repose au pied de la pierre, comme une femme endormie aurait posé sa main sur le torse de son amant.
Tout a une fin, visiblement.